En cette fin d’année 2025, les témoignages se multiplient : des femmes et des hommes voient leur emploi disparaître, leur activité se fragiliser, sous l’effet de la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Traduction, production de contenus, conseil, services intellectuels autrefois considérés comme protégés - de nombreux secteurs sont touchés. Pour autant, réduire l’IA à une force exclusivement destructrice serait une erreur. Elle est aussi porteuse de gains de productivité, d’aide à la décision, de nouvelles capacités créatives. La question centrale n’est donc pas de savoir si l’IA est un progrès, mais quel progrès nous choisissons d’en faire.
Car le déploiement actuel de l’IA, soutenu par des investissements colossaux, s’opère trop souvent sans réflexion collective suffisante sur ses usages, ses limites et ses conséquences humaines. Sans cadre clair, la promesse d’innovation peut se transformer en outil de rationalisation brutale, mettant les organisations sous tension et fragilisant le lien social. « La science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait Rabelais - non pour condamner la science, mais pour rappeler que toute avancée technique exige un socle éthique. L’IA n’échappe pas à cette règle : elle peut libérer du temps, augmenter l’humain, mais elle peut aussi l’effacer si elle n’est guidée que par la logique du profit.
Le parallèle avec les vagues de désindustrialisation des années 1970-1980 s’impose, mais là encore, la comparaison mérite nuance. Comme hier, une transformation profonde est à l’œuvre ; comme hier, elle crée des ruptures et des angoisses. La différence majeure tient à la nature des métiers touchés : ce ne sont plus seulement les ouvriers, mais aussi les cols blancs, les métiers du savoir, du langage et de l’analyse. Pourtant, l’histoire nous enseigne que la technologie n’est pas fatalité, mais choix politique et social. « Le progrès n’a de sens que s’il est partagé », rappelait Pierre Mendès France. C’est précisément ce partage qui fait aujourd’hui défaut.
Que faire, alors, face à ces bouleversements ? Ni rejeter l’IA, ni l’embrasser aveuglément. Il s’agit de former, d’accompagner, de réguler. Sensibiliser aux usages responsables, développer l’esprit critique, repenser les compétences plutôt que de les substituer mécaniquement : c’est à ce travail patient que s’emploient celles et ceux qui, sur le terrain, dans le cadre de consultances et de formations, cherchent à faire de l’IA un outil au service de l’humain et non l’inverse. Car une technologie comprise est une technologie maîtrisée ; une technologie subie devient une source de fracture.
Nous sommes à un moment charnière, presque initiatique. Il nous invite à un double mouvement : extérieur, par la mise en place de règles, de garde-fous et de politiques publiques courageuses ; intérieur, par une réflexion sur ce que nous voulons préserver de notre humanité. À l’image du bâtisseur qui taille la pierre brute pour en révéler la forme juste, il nous appartient de travailler l’IA, de la limiter, de l’orienter. La machine peut calculer, mais elle ne sait ni discerner le juste de l’injuste, ni éprouver la fraternité. « L’homme ne se construit qu’en construisant l’autre », écrivait Saint-Exupéry.
Si nous parvenons à inscrire l’intelligence artificielle dans un cadre éthique, régulé et pédagogique, elle peut devenir un levier d’élévation collective plutôt qu’un facteur de désagrégation sociale. Le véritable enjeu n’est donc pas technologique, mais philosophique : faire en sorte que le progrès reste un chemin d’émancipation, éclairé par la conscience, la responsabilité et le souci du bien commun. C’est à cette condition que l’IA cessera d’être une menace diffuse pour devenir un outil juste, à sa place, au service d’un monde plus humain.
Illustration : mobilisation imaginaire d’une grande entreprise de services / Menya - IA Gemini
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